Virginie Descamps
& Nicolas Mazzi

Au premier abord, Descamps + Mazzi se distinguent par le caractère extrêmement produit de leurs œuvres. On sent une précision dans le geste, une intentionnalité sûre d’elle-même dans le mode de réalisation. Leurs sculptures, installations et murales comportent des éléments récurrents, potentiellement utilitaires, pour le moins décoratifs. Premier réflexe: on a affaire à des objets, quelque chose qui sert à quelque chose. Sensation sécurisante pour nos psychés construites par et entourées d’objets de consommation: « C’est joli, non? C’est combien? »… Les œuvres semblent faire système et créent un environnement clos où formes, couleurs et matières se répondent et disent: chaque pièce est à sa place vis-à-vis des autres—il n’y a rien à ajouter, si ce n’est le flux des regards. Est-on libre d’interagir avec ces objets, de les manipuler? Leur accessibilité intrinsèque y invite: pièces posées au sol, code couleur ludique, sangles surgies des surfaces… Chaque œuvre se conjugue dans un ensemble foncièrement haptique.

Ces mêmes éléments qui nous plaçaient d’instinct en terrain connu s’avèrent peu à peu déceptifs. Et c’est le vocabulaire usuel qui chancelle, à mesure que le doute grandit quant à la nature et destination des pièces présentées. La lisibilité du système a priori parfait s’estompe, au profit d’un questionnement conceptuel. Là réside l’autre intentionnalité des artistes: hybrider leur pratique plasticienne, en s’inspirant des conventions qui déterminent l’objet utilitaire. Et ce, pour mieux revenir à la question fondamentale: à quel point sommes-nous devenu.e.s des homo consumens (Erich Fromm), le regard modifié par l’attente d’un produit fini, immédiatement consommable, jetable, remplaçable? Descamps + Mazzi refusent le ready-made, paradigme usé de l’art contemporain. Ils mettent en tension deux pratiques du faire que sont les arts plastiques et l’artisanat, se moquant des codes de la décoration. Afin d’extraire le regard d’une interprétation purement téléologique des choses, le duo crée des formes autonomes, donc déstabilisantes. Mais aux modes opératoires souvent hors-sol de la science-fiction, les artistes préfèrent une approche spéculative, soutenue par des formes quasi-familières, propres à façonner un regard émergent, capable de penser la malléabilité et fluidité de nos environnements proches. 

En ce sens, le travail de Descamps + Mazzi emprunte au speculative design, courant dans lequel l’objet, loin d’offrir une solution immédiate à un besoin identifié, ouvre un espace des possibles, propice à l’imagination et à une réflexion renouvelée sur notre rapport au réel (Anthony Dunne & Fiona Raby). Descamps + Mazzi créent ainsi des structures d’indétermination et, ce faisant, ouvrent la réflexion sur l’infinitude de leur pratique artistique.

Descamps + Mazzi postulent que les formes ont un être propre. Leurs œuvres sont appelées à évoluer et se recomposer selon leurs dynamiques internes. À une époque où les individus revendiquent des identités fluides, multidimensionnelles, il s’agit de penser les artefacts qui nous entourent comme pareillement fluides, tendus non pas vers un futur abstrait, béat ou dystopique, mais vers un présent probable, qu’il nous appartient de constamment reconfigurer. Ces œuvres valent donc non seulement pour ce qu’elles sont en cet instant, mais pour leur potentialité d’être. Conceptualisant un désir cinétique, elles n’en sont pas pour autant la représentation simpliste et aliénante. Le pouvoir de ce travail réside dans un mouvement à inventer en relation avec l’œuvre, autant qu’avec soi. Ainsi, Descamps + Mazzi sont des artistes du faire, compris non pas comme un ensemble de gestes productifs mais comme catalyseur de notre désir collectif d’action à un niveau cognitif et physique. Leurs œuvres nous invitent à créer nos propres narrations, bousculer le sens même que nous donnons habituellement aux choses et tendre, enfin, vers l’extra-ordinaire.

Tina Allison Wetchy

Ancienne élève du Master Arts Visuels en Études Critiques, Curatoriales et Cybermedia à HEAD – Genève, Suisse

 

https://www.descamps-mazzi.com/